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Mes belles âmes pradétanes

La saga des Fournier pendant 400 ans au Pradet

14 – Rencontre à Toulon – 1874 -

5 ans ! 5 Années de passées à faire son service militaire. Il a maintenant 28 ans et repense à ces dernières années plutôt lugubres. D'abord, il y a eu cette satanée guerre franco-prussienne déclarée le 19 juillet 1870. Un an avant, il avait embarqué sur le cuirassé « l'héroïne ». Ce n'est pas là qu'il a pu découvrir du pays... à part une escale à Héligoland au sud-est de la mer du Nord... et « l'héroïne » est revenue à son port d'attache : Toulon.

C'est là que notre Baptistin est consigné jusqu'à la fin de ses classes et n'a pas été envoyé au front. Heureusement qu'il a pu retrouver son père, Laurent, au « Pitchoun Prat » lors de ses rares permissions. Laurent tient la civette « le café Fortuné » afin d’aider Marius-Fortuné, (son cousin et propriétaire depuis le décès de Baptiste Raynaud) sur la place du village, enfin, à la tombée du jour seulement, car Laurent est aussi tuilier, tout comme son fils Frédéric, et à l’occasion agriculteur, et la terre, elle passe avant ! Aidé de ses fils Constantin, Casimir et Marius, ils entretiennent les quelques terrains qu'ils possèdent chacun sur la commune, mais aussi sur « le Plan » , à la Cibonne, à la Gravette et sur les flancs de la Colle Noire.

Alors, tout cela prend beaucoup de temps, le Père n'est plus très jeune, et lui qui est absent depuis si longtemps.....

Il est plongé dans ses pensées quand son ami Florent le fait sursauter.

- « Oh ! Titin ! Coma vaï ? Tu penses à la quille ? »

- « Tout juste Florent ! Et toi ?»

- « Balin-balan. Ecoute, que dirais-tu d'une soirée à Toulon avant de repartir chez toi ? »

- « Une soirée ? Si c'est pour m'entrainer encore dans le quartier du Chapeau Rouge...non merci ! La dernière fois, ça c'est fini en bastonnade.. Qué cagade ! »

Quartier du chapeau rouge à Toulon

Quartier du chapeau rouge à Toulon

Florent se met à rire.

« Mais non, cette fois c'est chez « du beau monde » Tu sais, je t'ai déjà parlé de ma tante Rimbaud ? »

- « Voueï... a beléu cènt an rèn que de dimanche ! (elle a peut-être cent ans rien que de dimanche).... et alors ? »

- « Alors, elle donne une grande fête dans son château, enfin une gentilhommière. Elle a invité toute la famille, ses amis, patin-couffin, et moi je suis son seul neveu à Toulon, elle m'a dit que je pouvais inviter qui je veux, alors de suite, moi, j'ai pensé à toi, ça te dit ? »

Baptistin se lisse la moustache d'un geste mécanique et se demande si c'est une bonne idée. Lui, les châteaux c'est pas son truc. Pourtant il connaissait très bien Monsieur Mallard, l’ancien propriétaire du château du Pradet. Il allait toujours aider aux olivades et ça finissait par une grande fête... mais là .....

- « Oh ! alors ? C'est oui ? Si t'as pas les habits, moi je peux t'en prêter, vise, on fait la même taille »

- « Non, les habits je les ai...n’en sàbi ren (je ne sais pas) ... »

- « Allez zou ! Te fais pas prier.. c'est les derniers jours que tu restes à Toulon, après tu t'en retournes au pitchoun prat... »

Devant tant d'insistance, Baptistin se laisse convaincre et le samedi suivant ils ont rendez-vous devant la Préfecture Maritime sur le Champ de Bataille (devenue Place d'Armes).

Une vitrine lui renvoie son image « Sian poulit » pense-t-il. Une belle silhouette néanmoins avec son complet, pantalon et gilet noirs, les bottes bien cirées, une belle chemise blanche. Le gilet lui serre un peu (« je suis escquiché » pense-t-il) et le pire c'est le noeud papillon ! C'est la mode, il parait, d'après Florent. , justement, voilà sa voiture qui arrive.

Florent tient les rênes. Il est aussi très élégant, et quand Baptistin est installé à côté de lui, il lui avoue avoir la canne et le chapeau à l'arrière de la voiture !

- « Anèn zou, en route pour la Valtière ! Tu connais les quartiers à l'ouest de Toulon ? »

- « Pas du tout, tu sais, je prends la diligence pour aller au pitchoun prat à la place d’Italie (actuelle place Armand Vallé). Et c'est de l'autre côté de la ville ».

Alors, pendant tout le voyage, il put admirer ce paysage nouveau, commenté par Florent.

- « Voilà, on est obligés de passer par la Porte de France (actuelle place Sadi Carnot St Roch) pour rejoindre le faubourg St Roch. C'est peuplé, plein de vie et de remue-ménage. Beaucoup d'ouvriers habitent là, mais tu vois toutes ces grandes maisons cachent aussi la bourgeoisie toulonnaise !

La porte de France (en haut de l'avenue Sardi-Carnot actuelle)

La porte de France (en haut de l'avenue Sardi-Carnot actuelle)

« Ici, c'est le coin des couvents : les petites soeurs des pauvres, l'Espérance et le Bon Pasteur ».

Tout au long du chemin, ce ne sont que des jardins qui fleurent bon et lui rappellent la campagne du pitchoun prat.

-« On arrive sur la route des moulins »

Entrée du faubourg St Roch
Entrée du faubourg St Roch

Entrée du faubourg St Roch

Couvent St Maur et entrée du faubourg St Antoine
Couvent St Maur et entrée du faubourg St Antoine

Couvent St Maur et entrée du faubourg St Antoine

Sur la gauche surgit un grand bâtiment.

Florent explique :

- « Ça y est, on entre dans le faubourg Saint-Antoine, et dans la propriété de ma tante : elle s'étend jusqu'à Cigalon ; ça, c'est l'huilerie. Toutes les olives du coin finissent dans ce moulin. Regarde là ! Tous ces champs de légumes, tous ces vergers, toutes ces oliveraies un peu plus en hauteur ! Elle emploie des métayers qui cultivent ses potagers. »

Huilerie St Antoine (lithographie R.Vidal)

Huilerie St Antoine (lithographie R.Vidal)

- « Restons sur la gauche, parce qu'à droite, c'est un chemin tout caillouteux, qui s’appelle le chemin Royal, parce que Louis XIV l’a emprunté en 1660. Y’avait pas tous ces cailloux je suppose, il continue dans la campagne, d'ailleurs tu peux rejoindre ton « Pitchoun Prat » par là. Il longe le pied du Faron, bordé de pins, de chênes et d'oliviers. Il mène aussi au village du Revest et au château d'Ardène (de la forêt). Tu sais que George Sand y est venue plusieurs fois en 1861 ? »

- « George Sand ? »


- « Oui, tu sais, elle séjourne souvent à Tamaris. Alors, elle prend le vapeur à aubes « Le Mourre Nègre » et, arrivée à Toulon, une voiture qui l'amène jusqu'à Dardennes (ou d'Ardène). C'est la pauvre Madame Bourgarel qui l'a invitée car la botanique la passionne, et cette vallée regorge de nombreuses plantes. Il paraît qu'en 1865 elle a écrit « les confessions d'une jeune fille » et que, dans ce roman, elle parle du château de Dardennes... Mais je l'ai pas lu...Madame Bourgarel, elle est morte en 1869 et la fille de George Sand a voulu l'acheter aux enchères avec toutes les terres, mais comme y'avait plus d'eau, je sais pas pourquoi, hè bè finalement elle l'a pas fait ! »

Et Florent parlait, parlait. Lucien écoute d'une oreille distraite et s'emmerveille du lieu. Ils viennent de traverser une immense zone de joncs. C'est sûr que l'eau est présente ! Un autre moulin sur la gauche, le « moulin de Tourris ». On trouve ainsi une douzaine de moulins tout au long de la vallée -10 moulins à farine et 2 à huile- grâce à la présence abondante de l'eau et ça change tout : de l'odeur de la terre à la couleur des arbres... Les champs sont ainsi correctement irrigués et l'agriculture est prospère. Elle contribue naturellement à la bonne marche des moulins. Tout ça, bien sûr, c'est Florent qui continue ses explications savantes.

Le mourre-negre

Le mourre-negre

La voiture fermée s'arrête devant une grande porte cochère où se trouvent les écuries. Tandis qu'ils descendent et que Florent confie leur attelage au palefrenier, Baptistin regarde cet immense bâtiment : au dessus des écuries, des fénières, ainsi que des chambres destinées aux saisonniers. Certains métayers sont logés aussi là. Comme le terrain est pentu, il y a des restanques de l'autre côté avec de petits jardins d'où on accède par le chemin caillouteux.

Baptistin et Florent se dirigent vers la gauche, en contrebas des écuries et passent le grand portail blanc.

Ils descendent l'escalier Louis XV à double révolution qu'entoure un charmant bassin d'où jaillit l'eau. La rivière du Las coule de l'autre côté du bâtiment.

C'est au milieu d'un immense parc que se dresse la Valtière St André. Magnifique gentilhommière provençale. Baptistin remarque tout de suite ses deux tourelles à chapeau de tuiles, les sept rangées de persiennes sur deux étages et une imposante porte d'entrée donnant sur la terrasse qui regorge d'hommes et de dames élégantes.

La Valtière St André

La Valtière St André

Elle domine un paysage immense de profondeur, resserré dans de hautes et fières collines (le Faron, le Baou de quatr'Ouros et le Mont Caume) qui se termine par une muraille d'azur étincelante : la Méditerranée.

Une dame de très belle allure s'approche d'eux et embrasse Florent. C'est la propriétaire des lieux dont Baptistin fait la connaissance. Elle le met tout de suite à l'aise, et alors qu'il la félicite sur la splendeur de sa bastide, elle lui explique qu'elle devait être détruite, car à la révolution, le propriétaire, François Rimbaud qui était Commissaire du Roy, fut guillotiné.....mais sa soeur, la grand-tante de son mari, réussit à racheter la Valtière devenue « bien national » quelques années après et, ainsi, elle a pu rester dans la famille. Elle rajoute : « Vous savez, Marie-Antoinette y a dormi lors d'un voyage, car une demoiselle Rimbaud a été sa demoiselle d'honneur alors qu'elle encore dauphine ! »

Tout en devisant, ils pénètrent dans le salon illuminé par les chandelles où une jeune fille s'approche du petit groupe.

James Tissot

James Tissot

Baptistin remarque tout de suite ses cheveux châtain très clairs, presque blonds, relevés et retombant dans de grosses boucles qui faisaient ressortir sa peau laiteuse. Elle est assez grande avec une allure élancée, et de magnifiques yeux noisette qui éclairent son beau visage.

Madame Rimbaud fit les présentations et il apprend ainsi qu'il s'agit de sa nièce venue de Sénas pendant quelques mois, après avoir perdu ses parents. Elle ressemblait à l'une de ces gravures de mode du « petit courrier des dames » : une magnifique robe de bal bleu-lavande, gantée de blanc, un petit éventail et son carnet de bal rangé soigneusement dans un mouchoir en soie brodé à son prénom : Pauline. Mon Dieu qu'elle est jolie !

Baptistin ne tarde pas à vouloir l'inviter à danser. Elle sort alors délicatement son petit carnet où sur chaque feuillet était inscrit le nom d'une danse : quadrille, mazurka, polka ou valse.... et sous chaque danse, trois numéros en face desquels figurent le nom des danseurs.

Dès le premier regard, il sait que c'est ELLE..... et Pauline est loin d'être indifférente à ce bel homme plein de vie, si attachant et attendrissant, plutôt châtain clair avec un regard franc et limpide comme un ciel d'été, une moustache fournie «à l'américaine» qui lui coupe un peu son visage plein de bonté. Il n'est pas très grand mais athlétique. Un très bel homme.

Après plusieurs danses, ils sortent sur la terrasse et échangent une longue conversation où il apprend sa vie : Sénas, la mort des parents, la bastide; son frère.... et Baptistin, tout en en lui contant fleurette, lui raconte « Lou Pitchoun Prat » où il retourne dans quelques jours. Il est tout-de-même rassuré quant à sa situation sociale, il avait peur qu'elle fasse partie de la bourgeoisie, lui qui était plutôt du côté des républicains.....

Pauline :

- « Demain, vous ne vous souviendrez pas de moi... » Elle se retourne brusquement et :

-« Tenez, dites-moi de quelle couleur sont mes yeux ! »

Et Baptistin répond :

- « Ils sont pulèu marroun (plutôt marron), mais ambrenco (tirent vers l'ambre) à la lueur des chandelles mè un pitchoun tito verdo (avec une petite pointe de vert) autour de l'iris......... »

Elle sourit et « Noisette m'aurait suffit ! ».Ils éclatent de rire tous les deux.

Ils décident de profiter de cette belle soirée printanière et s'approchent du banc, près du bassin. Et là, Pauline tente de s'asseoir, mais avec la crinoline (même petite) ce n'est guère facile ! D'autant que c'était la première fois qu'elle en portait, sur les conseils de sa tante. Baptistin, pourtant admiratif de la robe, compare cet accessoire à .... une cage à poules ! Et il lui fait promettre de ne plus en porter s'ils devaient se revoir..... Elle promet bien volontiers désormais de ne porter que des jupons qui donnent plus d'ampleur à la jupe, et beaucoup plus confortables !

Renoir "Les Amoureux"

Renoir "Les Amoureux"

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